Chronique Marc Geysen: « L’art de jouer sur le velours »

Toutes les photos ont été aimablement fournies par Marc Geysen

J’étais stupéfait, bouche bée, je pensais avoir tout vu en matière de textile, mais ça… Un phénomène, une œuvre d’art d’une précision inouïe, sophistiquée et millimétrée, véritablement à encadrer… Ce qui était d’ailleurs le cas : un magnifique cadre doré de 15 centimètres sur 15.

On y voyait le buste d’un homme en costume, un homme de la noblesse, visiblement. ‘Splendide’, ai-je pensé, ‘une sorte d’impression sur du velours’. Vers la fin du Moyen-âge, le velours était un textile très apprécié. Mais ce n’est pas ça qui m’intriguait. Ce qui m’a totalement abasourdi, c’est la maîtrise et la créativité derrière.

Musée Textile en Alsace

De quoi je parle ? Eh bien, au milieu des années ‘70, lors d’un passage en France, j’ai visité un musée du textile en Alsace. Oui, en tant que ‘Textile lover’, c’est le genre de choses que je fais volontiers pour nourrir ma curiosité et découvrir des choses que je ne connais pas encore. Je me promenais parmi la collection particulièrement soignée de ce beau musée lorsque soudain, j’ai eu l’œil attiré par un petit cadre doré entourant le portrait d’une personne aux traits agréables et vêtue d’un costume noir. Je me suis approché pour l’admirer de plus près et j’ai remarqué que c’était une impression sur velours. Ok, rien d’inédit ou de vraiment spectaculaire jusque-là.

Mais… le buste de l’homme avait été peint sur le ‘fil de chaîne’ avant le tissage ! Donc sur les fils de trame avant qu’ils ne soient positionnés sur le métier à tisser. Le problème ? Le portrait a donc dû être peint patiemment sur les fils de chaîne, en tenant compte de la hauteur du fil après tissage, vous comprenez ? Un travail d’une minutie incroyable ! Chapeau à l’homme ou la femme qui a réussi ce tour de force. Je ne retrouve plus de photo malheureusement, mais si vous passez par l’Alsace, je vous recommande d’y faire un tour. Ce qui est sûr, c’est que le velours n’a cessé de me fasciner depuis.

Une forme de textile particulière

Qu’est-ce que le velours exactement ? Le velours est une forme de textile particulière, dont le dessus est constitué d’un tissu ‘à fils relevés’. C’est-à-dire dont les poils dressés, très serrés, sont maintenus par les fils du tissu de base.

C’est un peu réducteur, évidemment, le velours est bien plus que ça. Cette technique est documentée dans nos contrées depuis les années 1400 environ. Il était autrefois tissé à base de soie provenant de Chine, où il était connu sous le nom de ‘Quirong Jin’. Il s’est ensuite popularisé principalement in Iran, où il était utilisé comme ‘régulateur de température’, pour se réchauffer lors des nuits froides et pour se rafraîchir pendant la journée. Les origines du velours sont donc à chercher du côté de la culture orientale.

Le velours des siècles passés avait une apparence singulière. La couleur du tissu se module avec la lumière et c’est précisément ce qui lui a valu un tel succès à son arrivée dans nos contrées. Qui d’autre que l’Italie pouvait s’approprier cette technique ? C’est ainsi que Lucques, Florence, Venise et Gênes sont devenues de véritables capitales du velours. Et pour la dernière, c’est une réputation qui l’a suivie jusqu’à aujourd’hui car qui ne connaît pas le ‘Velours de Gênes’ ?

Mais la demande pour ce produit de luxe a fini par être telle que l’Italie ne parvenait plus à suivre. Au 16ème siècle, la technique s’est donc exportée jusqu’à Bruges et très rapidement la confection brugeoise n’a plus rien eu à envier à la qualité italienne. À l’époque, le velours était très prisé par la haute bourgeoisie et était principalement utilisé pour l’habillement, mais aussi comme tissu d’ameublement et même comme revêtement mural. En fait, le velours est en train de redevenir tendance, ce qui n’a rien de surprenant. Utilisé en revêtement mural, le velours a de nombreux avantages, notamment en termes d’isolation et d’acoustique.

Le velours pendant la Renaissance

Faisons un bref retour à la Renaissance. À cette époque, le velours était souvent associé au métal ou à l’or pour accentuer le sentiment de luxe et de richesse. Les plus grands consommateurs de velours étaient le clergé et les personnes fortunées, qui désiraient faire étalage de leur prospérité. Le velours rouge était également largement utilisé dans les théâtres.

Avec l’arrivée de la révolution industrielle, bien des années plus tard, on s’est mis en quête d’un système de production plus simple et plus rapide, ce qui a bien sûr fait baisser la qualité du produit, qui a perdu de son lustre et de sa richesse. Le velours a néanmoins conservé cette aura de qualité, c’est inscrit dans nos gènes. Et c’était désormais aussi un produit à la portée de tous ou presque, donnant un peu de prestige aux personnes ‘ordinaires’.

Velours mohair

Pendant l’entre-deux-guerres, le velours s’est retrouvé relégué au second plan, les gens lui préférant des tissus d’ameublement lisses en soie et en brocart. À la fin des années ‘50 et pendant les années ‘60, le velours est toutefois revenu en force. Vous vous souvenez peut-être du fauteuil de votre grand-mère avec son ‘velours mohair’ inusable ? À l’époque, ce tissu se déclinait en quelques couleurs douces, un vert clair pâle, un vieux rose et un camel, des teintes qui se fondent facilement dans tous les intérieurs.

Jugé démodé dès la fin des années ‘70 et tout au long des années ‘80, le velours s’est progressivement effacé. Mais il a toujours gardé une petite place au fond du cœur des designers. Et c’est ainsi qu’il a fait un nouveau retour fulgurant dans les années ‘90, grâce à plusieurs créateurs flamands et italiens, qui l’ont redynamisé avec une palette de couleurs totalement neuve. Des teintes éclatantes qui ont émerveillé le public. De nouvelles qualités ont été introduites sur le marché et le polyester synthétique s’est substitué au velours mohair. Le polyester a les mêmes qualités mais beaucoup plus de possibilités et aussi beaucoup d’autres nouveaux atouts.

Comme vous le savez sans doute, il y a plusieurs façons de fabriquer des tissus à fils relevés. Je vous en dirai plus dans ma prochaine chronique. En attendant, célébrons le velours, un art à la fois noble et intime, qui se vit, qui se touche, qui se ressent. À bientôt !  

Decostyle redactie

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